jean-guy coulange
sonore écriture image
La Traversée (du paysage)
Notes et photographies sur les essais radiophoniques Fleuve Somme et Fleuve Rance
Hippocampe éditions
distribution Les presses du réel
" Enregistrer le fleuve Somme, c’est tenter une nouvelle fois de se sauver de la noyade. En fait, ça n’est pas tant le fleuve Somme en lui-même, pas plus que les irlandais d’Aran, les grecs d’Amorgos ou les tailleurs de pierre d’Île Grande qui m’attirent. Ils m’intéressent parce qu’ils sont moi, parce qu’ils sont la richesse que je ne suis pas. Je veux composer ce qu’il y a en moi que je ne connais pas. Je compose non pas ce que je vois mais ce qui est invisible.
Ma nouvelle page sonore s’ouvre. Fleuve Somme est un projet important,
c’est le plus beau projet, celui qui vient. J’ai peur de Fleuve Somme,
j’en ai une peur coulante, je n’ai jamais eu aussi peur.
Je suis prêt à l’écriture.
... "
Chronique de Jean-Claude Hauc parue dans LES LETTRES FRANÇAISES (octobre 2018)
Des Fleuves impassibles
La traversée (du paysage),
de Jean-Guy Coulange,
Hippocampe éditions, 88 pages, 16 euros.
Jean-Guy Coulange est à la fois compositeur, écrivain et photographe, mais aussi réalisateur d'essais radiophoniques, tels que Fleuve Somme et Fleuve Rance, diffusés dans Le Labo, Espace 2/RTS, en 2017. Toujours muni d'un enregistreur, il déambule à travers des paysages dont il capte les rumeurs multiples, le bruissement du vent, les voix des hommes, le chant des oiseaux, le bruit de moteur de quelque bateau. Puis il monte l'ensemble avec de la musique et compose un véritable «récit». Avec La traversée (du paysage), deuxième ouvrage que publient de lui les éditions Hippocampe, il entend désormais faire se croiser l'image avec le texte et invente une harmonie inédite qui oblige le lecteur à se tenir au plus près du geste, du regard et de l'écoute. «L'écriture pour désembourber», écrit-il.
Jean-Guy Coulange avoue volontiers être fasciné par l'eau. «C'est quelque chose qui me prolonge et qui me fait peur à la fois», déclare-t-il lors d'un entretien. Plusieurs citations de Bachelard, de Cendras, d'Aragon ou de Guillet viennent encore nourrir cette sensation que le lecteur finit à son tour par ressentir. Ce dernier descend d'abord en compagnie de l'auteur le cours de la Somme. «En deux semaines je suis passé / des marais à l'eau vive / de l'eau stagnante à l'eau nomade / des forêts sombres du fleuve aux résineux des dunes / des strates de la guerre à la vie exaltée des oiseaux / de l'ombre à la lumière.» On ne peut bien sûr s'empêcher de songer aux premiers vers du Bateau ivre, l'un des plus célèbres poèmes de Rimbaud : «Méandres de matière à penser, classer. Fleuve impassible, / sombre et clair !» Nous suivons pas à pas l'auteur le long de la berge. Il n'y a plus désormais de barges ni de chevaux de hallage, mais des pêcheurs, des chasseurs, des promeneurs et des joggers. La mémoire de la Grande Guerre semble avoir disparu. Puis nous remontons avec l'obstiné voyageur le cours de la Rance depuis l'estuaire, à marée basse ou haute. Nous marchons toujours en sa compagnie l'hiver le long des rives de cet autre fleuve paisible. «La Rance ruisselle, les mots sédimentent, rouillent, / résistent comme le lichen industrieux.» Nous voyons le jour se lever lentement, les formes apparaître une à une. Les sons et les images sont dès lors une récompense. «Le paysage change, seconde après seconde.»
La dernière partie de l'ouvrage comprend une vingtaine de photographies couleur prises à l'appareil numérique. Pour l'occasion, l'éditeur a judicieusement décidé d'agrandir le format habituel de ses ouvrages et d'utiliser un nouveau papier. Jean-Guy Coulange recadre et retouche ses photographies à l'ordinateur. Arbres comme perdus dans une brume bleutée. Vapeurs au-dessus d'une étendue aqueuse. Larges espaces lacérés de nues. Plages et môles faisant copuler le ciel avec la terre. Méandres à Frise. Paysages en Somme. Baie du Mont Saint-Michel. Cancale. Dinard. Saint-Malo. Saint-Suliac. De la plupart de ces images savamment composées sourd une étrange mélancolie. Encore Bachelard : «Je retrouve toujours la même mélancolie devant les eaux dormantes, une mélancolie très spéciale qui a la couleur d'une mare dans une forêt humide, une mélancolie sans oppression, songeuse, lente, calme.»
Jean-Claude Hauc
Romancier, essayiste, il a notamment publié Miscellanées casanoviennes, Hippocampe édition, 2017
note sur la photographie page 59
"Nuances bleues d’eau lacustre. Peut-être un grand arbre à côté d’un plus petit, les deux penchés sur un chemin ou une route qui cherche, dans un angle droit de ciel, l’étoile de la photographie. Impossible de savoir de quel crépuscule il s’agit. Le matin se dédouble en soir et le soir se dédouble en matin, d’une seconde l’autre. Existence indirecte, perçue par clapotis et stillation, rien de plus. Existence mal décidée à l’Être. Épaisse brume d’humidité aux gouttes de laquelle il n’est rien qui ne s’abreuve. Le paysage ne se traverse pas, il se boit. « Tout le monde boit, pas autant que moi, mais tout le monde boit » marmonne Carette, lèvres glissant sur le bord du verre, dans l’adaptation au cinéma en 1959 par Marcel Carné du roman de Simenon La Marie du port. Aucune raison de penser que ce qui est, même si peu, n’est pas la vraie vie. La joie discrète d’un monde en vase clos, flic flac, flic flac – on dirait un petit animal effrayé. Ce matin ou bien ce soir, je suis content, je n’ai absolument rien à faire, légende Jean-Guy Coulange."
Jacques Sicard
note sur la photographie page 60
Si la photographie est toujours un moment de conscience, parfois prendre photographiquement conscience, c’est effacer l’objet de la prise de conscience – soudain, nous voici de pensée libre tant qu’est soutenu le regard de la photographie.
Plus rien qu’une surface vaporeuse d’aube ou de soir, de soir ou d’aube – de campagne jamais dénébulée. Ce que l’on peut voir, est à peine vu. « Une douceur trouble et scintillante comme dans les gros plans des films des années trente », écrit Imre Kertész.
Une douceur opaque et qui cligne. Le souvenir de l’espoir, l’impatience des ignorants, la nervosité de l’homme jeune. « Celui qui ne sait pas se reposer sur le seuil du moment, n’importe lequel, ne connaîtra jamais le bonheur », surenchérit Nietzsche. Plus tard, viendront des rayons du soleil si rapprochés les uns des autres, à l’instar des nids dans une ruche, que l’alternative sera de leur lécher le miel ou de leur lécher le miel.
Jacques Sicard